Maître Houssam Othman-Farah à Bordeaux

COPROPRIETE - ETAT DE DIVISION - ERREUR MATERIELLE - RECTIFICATION

COPROPRIETE - ETAT DE DIVISION - ERREUR MATERIELLE - RECTIFICATION

Droit de la copropriété
Cour de cassation 3eme Chambre civile 22 Mars 2018, N° 17-14.168, Publié au Bulletin

Synthèse : Le juge a le pouvoir de statuer sur une demande en rectification d'une erreur matérielle affectant un état descriptif de division ; est donc recevable la demande en rectification d'une erreur de numérotation des lots dans l'état descriptif de division.
Procédant à l'interprétation de l'état descriptif de division que son ambiguïté, découlant du rapprochement de ses termes avec le plan annexé au règlement de copropriété rendait nécessaire, la cour d'appel, qui en a souverainement déduit l'existence d'une erreur matérielle par inversion des numéros de deux lots sur ce plan, a pu, ordonner sa rectification.

Commentaire :
Le 29 octobre 2012 Mme X assignait M. et Mme Y en restitution du lot n° 23 (chambre de personnel n° 23 au 6e étage) de l'état de division d'un immeuble en copropriété dont elle s’estimait propriétaire au regard du plan du 16 janvier 1956 annexé au règlement de copropriété, prétendant donc que les époux Y occuperaient illégalement le lot n° 23, au lieu du lot n°29 (chambre de bonne n°29 au sixième étage) dont ils étaient propriétaires.

En première instance, les époux défendeurs avaient apparemment simplement opposé à cette demande qu’elle était prescrite, car la prescription acquisitive trentenaire leur serait acquise.

Le tribunal déclarait l’action de Mme X recevable, estimant que l’action en revendication de la propriété est imprescriptible. Sur le fond il faisait droit à la demande et il condamnait solidairement les époux Y à restituer sous astreinte à Mme X. le lot n° 23. Le jugement était assorti de l’exécution provisoire.

Après avoir remis les clés de la chambre de bonne qui étaient en leur possession, les époux Y relevaient appel de ce jugement.

S’ils reprenaient le moyen en défense qui avait été écarté par le premier juge, tiré de l’irrecevabilité de l’action de Mme X en raison de la prescription trentenaire, ils plaidaient devant la Cour que le plan de 1956 annexé au règlement de copropriété publié en 1957 comportait une inversion des numéros des lots n° 23 et 29, et ils demandaient à titre reconventionnel à la Cour de rectifier l’erreur matérielle affectant l’état descriptif de division. Le syndicat des copropriétaires qui avait été appelé à la cause en appel, s’associait à la demande reconventionnelle des époux Y, en rectification de l’état descriptif de division.

En réponse à cette dernière demande des époux Y et du syndicat des copropriétaires, Mme X demandait à la Cour de déclarer irrecevable cette demande, au motif que l’état descriptif de division s’était vu conférer une valeur contractuelle dans le règlement de copropriété de l’immeuble, qui ne pouvait pas être remise en cause unilatéralement en justice ou qui à tout le moins devait répondre aux mêmes conditions de modification que le règlement de copropriété, et qu'à défaut de prescription légale l'y autorisant, le juge n'était pas compétent pour ordonner la rectification d'une erreur affectant l'état descriptif de division en l'absence d'une décision de l'assemblée générale constatant cette erreur. Elle contestait également toute ambiguïté du document de division de l'immeuble qui n'avait donc pas besoin d'interprétation et de correction.

La Cour d’appel de Paris, si elle confirmait la décision du tribunal en ce qu’elle déclarait recevable l’action en revendication de propriété de Mme X, l’infirmait pour le reste.

Dans un premier temps, elle admettait la recevabilité de la demande en rectification de l’état descriptif de division en ces termes :
« Considérant, sur la recevabilité de la demande des époux B. et du syndicat des copropriétaires en rectification de l'erreur matérielle du plan du 16 janvier 1956 relatif au 6e étage de l'immeuble, qu'il ressort des articles 8 de la loi du 10 juillet 1965, 2 et 3 du décret du 17 mars 1967 que l'état descriptif de division n'a pas de valeur contractuelle, de sorte que le juge peut être saisi et statuer sur une demande de rectification d'erreur matérielle affectant un tel état lorsque la rectification est de nature à mettre fin à un litige pendant devant lui ;
Qu'au cas d'espèce, les époux Y., copropriétaires, pour mettre fin au litige qui les oppose à Mme X., copropriétaire dans le même immeuble, demandent à la Cour de relever et rectifier l'erreur matérielle qui affecterait la numérotation d'une partie des lots du 6e étage de ce même immeuble figurant sur le plan dressé le 16 janvier 1956 par M. H. F., architecte, annexé au règlement de copropriété de l'immeuble, suivant acte reçu le 10 mai 1957 par M. Michel B., notaire à Paris, publié au 3e bureau des hypothèques de Paris le 8 juin 1957, volume 2898 numéro 8 ;
Que cette demande, qui porte sur la constatation et la rectification d'une erreur de numérotation des lots dans l'état descriptif de division et qui n'affecte pas le règlement de copropriété, est recevable »

Dans un second temps, statuant sur le fond, la Cour d’appel accueillait la demande de rectification de l’état descriptif de division en ces termes :
« Considérant, sur l'existence d'une erreur matérielle affectant le plan du 16 janvier 1956 annexé au règlement de copropriété, qu'il doit être relevé que :
- les caractéristiques des chambres de service, respectivement occupées par les époux Y. (29) et Mme X. (23) lors de l'introduction de l'instance, correspondent à la quote-part des parties communes mentionnée dans chacun des titres (5/1001e pour le lot 29, 2/1000e pour le lot 23) eu égard à leur consistance, leur superficie et leur situation au sens de l'article 5 de la loi du 10 juillet 1965, le lot 29 présentant des éléments d'habitabilité dont le lot 23 est dépourvu, de sorte qu'il est logique qu'un plus grand nombre de millièmes soit attaché au lot 29 ; qu'ainsi, en exécution du jugement entrepris, Mme X. a reçu un lot de 5/1000e alors que ses auteurs n'avaient acquis le 30 avril 1992 qu'un lot de 2/1000e,
- les numéros pérennes figurant sur les portes palières de ces deux chambres correspondent aux numéros de lots comme l'indiquent expressément les titres des parties : lot 29-chambre 29, lot 23-chambre 23,
- il existe dans les archives de cette copropriété un plan du 6e étage autre que celui du 16 janvier 1956, qui peut être de la même main que celui de 1956, eu égard à la similitude des écritures ; que ce plan est daté, mais que l'inscription manuscrite n'est pas déchiffrable ; que, sur ce plan, dit 'de 1954", contrairement à celui du 16 janvier 1956, la numérotation des lots du 6e étage coïncide, d'une part, avec celle des portes, d'autre part, avec les attributions de millièmes par les titres, enfin, avec les occupations respectives des parties antérieurement à l'introduction de la présente instance, M. Gérard B., filleul d'Odette D., locataire dans l'immeuble depuis 1966 et copropriétaire depuis le 30 septembre 1991 ayant attesté le 7 juin 2012 que les époux Y. occupaient le lot 29 selon le plan dit 'de 1954", depuis 1980, en qualité de locataires, puis à compter de 1987, en qualité de propriétaires ;
Que, dans un rapport du 1er juillet 2008, M. Gérard B., ancien président du conseil syndical, parent 'à la mode de Bretagne' de la famille D., propriétaire d'origine de l'immeuble en son entier, relate que, pour la mise en copropriété de ce dernier, deux plans furent successivement dressés par H. F., architecte de l'immeuble, l'un du 14 janvier 1954, l'autre du 16 janvier 1956, ce dernier opérant un changement de numérotation des lots, et qu'en dépit de l'annexion du plan de 1956 au règlement de copropriété, la gestion de l'immeuble et les ventes avaient été faites d'après les numéros de lots du plan de 1954 ;
Que la réalité de cet état de fait est corroborée par :
- la question mise à l'ordre du jour de l'assemblée générale des copropriétaires du 26 mai 2005 : 'décision à prendre par la copropriété concernant le rétablissement et la mise en conformité du règlement de copropriété au regard des lots occupés sans droit ni titre par certains copropriétaires', après qu'eût été donnée l'information 'sur l'état d'occupation de certains lots de copropriété - chambre de services et caves', la résolution n'ayant pas été adoptée, l'assemblée générale s'étant inscrite en faux sur les termes de la résolution, les copropriétaires ne s'estimant pas sans droit ni titre et le syndic ayant reçu la mission de faire des recherches pour connaître l'origine des erreurs,
- les déclarations du syndicat des copropriétaires selon lesquelles sur le plan de 1956, la numérotation des lots 17 à 35 avait été inversée par rapport au plan d'origine de 1954, seul ce dernier plan ayant servi aux administrateurs de biens successifs de la famille D. pour la gestion de l'immeuble avant sa mise en copropriété, les syndics successifs, après celle-ci, ayant continué à utiliser le plan de 1954, les occupations effectives des lots et leurs ventes ayant été faites en fonction de ce plan, de sorte que, si le lot dont les époux Y. étaient propriétaires portait le n° 29 sur le plan de 1954, mais le n° 23 sur le plan de 1956, il s'agissait bien du même lot ;
Considérant qu'il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la numérotation des lots du 6e étage qui aurait dû figurer dans le plan annexé au règlement de copropriété aurait dû être celle du plan de 1954 et que le plan de 1956, annexé au règlement de copropriété, est affecté d'une erreur matérielle par inversion des numéros des lots n° 23 et 29 ; qu'en réalité le n° 23 du plan annexé au règlement de copropriété est le lot n° 29 et que le lot n° 29 de ce plan est le lot 23, de sorte que les époux Y. et Mme X. étaient bien, antérieurement à l'exécution du jugement entrepris, en possession du lot qu'ils avaient respectivement acquis
Qu'en conséquence, Mme X doit être déboutée de ses demandes, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il y a fait droit ; »

Mme X formait un pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’appel de Paris.
Ce pourvoi était articulé autour de deux moyens qui tendaient en synthèse :

    Pour le premier, à remettre en cause le refus de la cour d’appel de reconnaître un caractère contractuel à l’état descriptif de division et à nier la possibilité pour le juge de rectifier un état descriptif de division ayant une telle valeur contractuelle.
    Pour le second, à soutenir que la certification, dans le règlement de copropriété notarié, de sincérité et de vérité du plan du 16 janvier 1956 annexé audit règlement par le propriétaire initial de l'immeuble excluait que ce plan puisse être affecté d'une erreur matérielle et qu’en décidant l’inverse la cour d'appel a modifié les droits des parties et dénaturé les termes clairs et précis du règlement de copropriété du 10 mai 1957.

Les deux moyens sont rejetés par la Cour de Cassation.

En premier lieu, tranchant e premier moyen du pourvoi, la haute Cour approuve la cour d’appel de Paris de s’être déclarée compétente pour corriger une erreur matérielle affectant l’état descriptif de division qui, sauf prévision particulière du règlement de copropriété n’a pas de valeur contractuelle, ce qui n’était pas le cas, puisque « il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que le règlement de copropriété procéderait à un renvoi exprès au plan qui lui est annexé et qu'il serait certifié exact et sincère par l'auteur de ce règlement », comme le relève la Cour de Cassation.

En effet, pour la Cour de Cassation, « ayant retenu à bon droit que le juge a le pouvoir de statuer sur une demande en rectification d'une erreur matérielle affectant un état descriptif de division, la cour d'appel … en a exactement déduit que la demande en rectification d'une erreur de numérotation des lots dans l'état descriptif de division était recevable ; »

En second lieu, statuant sur le deuxième moyen du pourvoi, la Cour de Cassation estime d’une part, qu’une interprétation de l’état descriptif de division était nécessaire du fait de son ambiguïté qui découlait du rapprochement de ses termes avec le plan annexé au règlement de copropriété, et que la cour d’appel qui, au terme d’une appréciation souveraine, en a déduit l’existence d’une erreur matérielle par inversion des numéros des lots n° 23 et 29 sur ce plan, a pu, sans modifier les droits des parties, ordonner sa rectification.